DOSSIER : #tropdetourisme ?
MAI 2019 – 80 PAGES
Éditorial du n°15 de CaMBo, par Jean-Marc Offner, directeur général de l’a-urba
#tropdetourisme ?…
« Des voyageurs qui ne parcourent des pays étrangers que par curiosité et désœuvrement… ». C’est sans bienveillance excessive qu’Émile Littré définissait ainsi le touriste dans son Dictionnaire de la langue française. Qu’écrirait-il un siècle et demi plus tard, alors que la population « désœuvrée » s’est fortement accrue, entre diminution des temps de travail et croissance des classes moyennes chinoises ? Et que la curiosité des contrées lointaines s’épanouit à l’aune de la réduction tendancielle des coûts de transport et de la non-taxation du kérosène ?
La massification transforme le tourisme. Elle associe les adeptes du farniente comme les hyperactifs, les photographes grégaires comme les explorateurs élitistes. Ici manne enviée, le touriste devient ailleurs nuisance rejetée. Les habitants l’espèrent mais s’en plaignent lorsque le trop-plein se fait sentir : « on n’est plus chez soi » ! Mais n’est-on chez soi qu’entre soi ?
Il y a trois façons de résoudre les conflits entre habitants et touristes. D’abord supprimer les habitants. C’est le processus de « disneylandisation » à l’oeuvre dans des centres-villes muséifiés comme dans de grands sites naturels ou archéologiques « réservés ». Le monde comme décor. Deuxième solution, l’habitant peut devenir, un peu, touriste. Touriste dans sa ville, en restant curieux d’un environnement en mutation constante, de lieux improbables, d’ambiances inédites ; en revisitant le patrimoine local ; en osant fréquenter les spots touristiques. Laisser parfois à la maison ses habits d’autochtone rend l’altérité touristique plus sympathique.
Enfin, le touriste peut devenir, un peu, habitant. La quête d’« authenticité » passe par là. La promesse, mal tenue, d’Airbnb, était censée répondre à cette demande. L’habitant doit se prêter au jeu de l’accueil, se faire hospitalier, polyglotte.
Encore faut-il que les acteurs locaux accompagnent le mouvement, voire l’encouragent. Bizarrement, cela ne va pas de soi, y compris dans les grandes agglomérations. Pourtant, l’une des caractéristiques singulières d’une métropole est bien d’accueillir des populations qui n’y résident pas. Des gens qui viennent y travailler, y consommer, s’y distraire, la découvrir et la visiter.
Excursionnistes, voyageurs, randonneurs… Dans les espaces publics, dans les transports collectifs, ils prennent de la place, toute leur place ; pour deux heures ou pour quelques semaines. Il faut s’occuper d’eux, naturellement, mais ce ne sont pas des habitants. Or les pouvoirs locaux les connaissent mal. Dans l’action publique, la figure de l’habitant occulte celle du passant. Une récente anecdote le rappelle avec force. Interrogée sur les problèmes de propreté dans sa ville, la maire de Paris répond que les effectifs des services de nettoyage ont été calibrés en fonction du nombre… d’habitants. Dans la première destination touristique mondiale, les milliers de techniciens et d’administratifs de la municipalité parisienne, sans parler des élus, n’ont jamais pensé qu’il y avait d’autres usagers que les habitants, susceptibles de générer des déchets à traiter ! Si l’ironie est facile, le constat est saisissant. Le formatage de la pensée locale est résidentiel, pas cosmopolite.
Le tourisme interroge ainsi la capacité des territoires métropolitains à se projeter dans un monde de flux et de circulations, apte à dépasser le monopole de la représentation habitante.
Jean-Marc Offner
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Lire le Grand Entretien : Olivier Bouba-Olga (par Gilles Pinson)
Lire l’introduction du dossier : #tropdetourisme ? (par Alain Escadafal et Nathanaël Fournier)
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